Un coktail blanc et noir ou l’archéologie de Dieu

« La vie est un mystère qu’il faut vivre, et non un problème à résoudre. »
Gandhi

pierreOnze séances de chimio, sept mois déjà à vivre avec le cancer !  Le premier chapitre se referme tranquillement.  Encore une séance à venir, ensuite, s’ouvrira le deuxième chapitre : opérations, radiothérapie…  L’heure est au bilan.

Ma première réaction est de dire : – Merci la vie, merci à toutes ces personnes, proches ou lointaines, qui me portent avec tant d’amour et de compassion.  Merci, vous m’aidez à vivre et à grandir.  Quelque soit l’endroit où vous vous trouvez sur la terre, votre discours apaisant est le même : – « Tu es un guerrier, tu vas guérir », me dites vous-sans cesse. Dieu vous entende si tel est sa volonté, mais de quel Dieu parlons nous exactement ?   Celui des chrétiens, des juifs, des musulmans, des bouddhistes, des Sumériens, des Égyptiens, des dieux de l’Olympe, des dieux des Hindous ou encore ceux des Amérindiens ?

Une personne qui m’est chère me disait récemment  :- « remercie Dieu pour tout ce qu’il t’accorde et tu vas guérir.  Cette phrase m’a fait réfléchir, puisque personnellement je n’ai jamais réussi à savoir qui était Dieu ?  Je me rappelle qu’en maternelle lorsque les sœurs et les curés nous parlaient de Jésus et de ses miracles, je me disais que j’aimerai bien y croire, mais je n’y parvenais pas, malgré tout le respect que l’Église m’inspirait alors.

Saint Henri 1959-1960
En classe de maternelle à l’école Saint Henri de Châtellerault en 1959-1960. J’ai retrouvé cette photo sur Internet. Merci à cette ancienne collègue de classe qui l’a publiée. Déjà à cette époque je cherchais Dieu sans savoir très bien qui il était.

Progressivement la vie s’est écoulée et puis un jour, j’ai du quitter la terre qui m’a vu naître et c’est au Nouveau-Monde que j’ai finalement passé ma vie.  Une vie généreuse et comblée malgré l’exil; et puis un jour sans crier gare, le cancer a frappé. Bang ! J’avais renoncé depuis longtemps à mettre un visage sur Dieu me contentant de ces vers  de Voltaire dont je remercie mon père de me les avoir avoir légué.: « Mais j’ai sur la nature encor quelque scrupule. L’univers m’embarrasse, et je ne puis songer que cette horloge existe et n’ait pas d’horloger. » .  Cette phrase prend d’ailleurs tout son sens lorsque je regarde, par exemple, ces photos merveilleuses de la Nébuleuse de l’hélice.

L'oeil
La Nébuleuse de l’Hélice est une nébuleuse planétaire se trouvant dans la constellation du Verseau, à environ 700 années-lumière de la Terre. On l’appelle l’œil de Dieu.

yyLe 12 juin 2014, toutes ces notions philosophiques étaient bien loin de moi, alors que je roulais vers Montréal pour annoncer à mon ami François que le cancer m’avait atteint. Malgré tout, je me faisais rassurant et lui assurait que je serai présent pour les prochaines fouilles archéologiques que nous avions programmées. Cette journée là c’était l’anniversaire de naissance de ma sœur Liliane et je pensais à elle et à sa vie la-bas, de l’autre côté de l’océan.  Le soir, j’assistais au service commémoratif de mon ami Maurice, décédé du cancer peu de temps avant.  Ma fille Cloé nous accompagnait, Ginette et moi; elle ne savait encore rien de ma maladie et l’endroit n’était pas des plus approprié pour lui annoncer la nouvelle. Le dmanche, c’était la Fête des pères et les enfants nous avaient rejoints au chalet.  Ils me savaient malade, et ce fut très dur de leur annoncer la nouvelle.

amuDurant l’été, entre deux séances de chimio, j’étais chez mes amis Jean et Anne-Marie, quand Diane la veuve de Maurice, est venue nous voir. Elle avait un cadeau pour moi.  C’était une amulette en os poli à l’effigie d’une tête d’Amérindien aux longs cheveux tressés et noués.  Diane m’a alors expliqué que ce pendentif avait été sculpté il y a longtemps par un shaman amérindien, et qu’il avait protégé Maurice pendant toutes ces années.  J’étais très ému et flatté de recevoir un tel cadeau.  Diane me confia qu’elle ignorait toutefois à quelle tribu il appartenait .

caulaCe pendentif porte la signature de l’artiste gravé à l’endos.  Il s’appelait Caula, mais qui était-il vraiment ce mystérieux Caula ? Vraisemblablement un shaman qui sculptait des amulettes pour conjurer le mauvais sort et les maladies, un peu à la manière d’un membre de la société des faux visages.  C’était en tous les cas un sculpteur accompli qui loup1malheureusement n’a pas laissé sa trace dans le cyber espace.  Était-il un descendant de la  tribu, des Caula  qui habitait le Texas entre 1542 et 1706 ? Peut-être venait-il même d’Arizona où vit un sculpteur qui fait des amulettes traditionnelles représentant des totems de loup en os de bison ?  Je n’ai pas réussi à l’identifier mais peu importe c’était vraisemblablement un guérisseur autochtone et désormais cette breloque fait partie de mon cocktail blanc.  Son pendant noir a une histoire qui remonte à plus de dix millénaires avant la construction de la grande pyramide de Gizeh, mais pour moi, elle commence durant l’hiver 1979.  À cette époque je me trouvais dans le sud de la France avec un ami et nous explorions un mamelon de garrigue balayé par le vent marin.  L’endroit, situé au cœur de l’ancienne province romaine de la Narbonnaise avait abrité un oppidum abandonné depuis bien longtemps.

cala
L’oppidum du cala ou fut trouvée le pendentif noir
oppidum_gaulois
Reconstitution dun oppidum gaulois

amu1Parvenu sur le mamelon, mon ami trouva un petit galet noir très lisse et de forme oblongue.  Il le ramassa et découvrit qu’il était percé en son sommet afin de laisser passer un cordon.  C’était assurément une ancienne amulette qui avait peut-être été portée par un soldat romain, ou bien par un gaulois ou une gauloise ?  Trente-cinq ans passèrent et j’oubliais complètement cette histoire qui me revint en mémoire durant la nuit de noël 2014.  J’étais à la campagne avec ma famille, et nous développions nos cadeaux.  J’étais heureux, car auprès de moi se tenait cet ami si cher, avec qui j’avais trouvé l’amulette trente-cinq ans plus tôt.  Il me tendit une petite boîte carrée enveloppée dans du papier de noël et  à l’intérieur de laquelle se trouvait le fameux pendentif noir.

Quel cadeau que ce puissant «flash back» qui allait me conduire sur le sentier d’une bien étrange découverte.  En tant qu’archéologue j’ai passé ma vie à faire de la recherche et l’origine de ce petit pendentif m’entraîna tout naturellement au cœur du pays Basque, dans une grotte où furent retrouvées des pendeloques similaires à la mienne. Cette grotte, découverte en 1983 par Mikel Sasieta  et Juan Arruabarrena a livrée une collection unique de pendentifs qui remontent au paléolithique supérieur et plus précisément à la période du Magdalénien (entre 17000 et 11500 ans avant aujourd’hui).

A cette époque, nos ancêtres directs vivent dans un environnement hostile.  Certains d’entre eux s’installent dans des grottes et chassent le cerf, le renne, le bison, l’auroch, le cheval et le mammouth.  Ils pèchent également truites et saumons qui abondent. C’est alors qu’apparaissent les premières manifestations artistiques humaines, dont les les fameuses pendeloques fabriquées à partir de galets.magdaléen3

Les pendeloques sont alors ornées de motifs décoratifs constitués d’incisions régulières, alignées ou placées en bandes parallèles, mais dont la signification exacte s’est perdue au fil des âges.

magdaléen2

Ces motifs étaient-ils purement décoratifs ?  Assurément non et à mon avis ils constituent l’une des toutes premières représentations divine, tout comme celle  de la déesse mère ou les symboles de fertilité que l’on retrouve sur certains colliers retrouvés à – La grotte de Praileaitz I (Deba)

magdaléen1

Mais revenons à mon amulette.  En l’examinant rigoureusement on peut voir d’un côté une amu1alongue incision verticale très légèrement courbée à la base. Puis à l’endos, une autre incision similaire, mais nettement plus rectiligne.  Bien que ce type de décoration particulière n’apparaisse pas dans la collection d’artefacts de la grotte du pays Basque, on peut assurément lui attribuer une fonction de fertilité associée à une représentation vulvaire de la déesse mère ou à un ex-voto de fécondité. Cette amulette a été trouvée à environ 500 km de la grotte, il y a donc fort à parier qu’elle appartienne à la même tradition et à la même culture matérielle qui prévalait dans le secteur il 15 500 ans.

Curieux voyage temporel que ce cocktail d’amulettes.  Celle de Caula me touche particulièrement en tant qu’Indien blanc d’Amérique, mais celle de l’oppidum du Cala avec son nom presque identique à Caula, provoque une synchronie qui me rapproche malgré moi de mes racines basques… Mais au-delà du hasard et  des représentations les plus anciennes de la déité je constate qu’ à travers ce cocktail blanc et noir je contemple simultanément deux visages oubliés des Dieux des anciens.

amu2

9 commentaires

  1. Bonjour mon Cousin, c’est passionnant, émouvant. Ce que j’aime chez toi, c’est quand tu nous fais part de tes souvenirs avec émotions, et puis tu es plein d’humanité. Tes recherches et réflexions sont toujours intéressantes. Je te souhaite bon courage pour cette nouvelle chimio. Je me souviens de celle que j’ai faite en dernier il y a 9 mois, nous étions 2 dans la même chambre toute la journée, une mamie de 84 ans grande et costaude et pleine d’humour, très positive, nous avons passé des heures ensemble à échanger sur nos vécus. Pendant ces 2 mois de soins intensifs puisque j’avais la radiothérapie 5 jours/7 et 1 journée de chimio/5 semaines, j’ai rencontré quelques personnes atteintes de cancer ou en bonne santé à ces instants là, et le personnel professionnel, de très grandes valeurs morales et humaines, et je les remercie car elles m’ont beaucoup aidée et je leur dois aussi une part de reconnaissance pour les résultats positifs puisque ce cancer a eu une rémission totale. Néanmoins, je reste assez faible et j’ai des examens de contrôle réguliers. La confiance est aussi primordiale que le repos, et une vie saine au maximum, pour la reconstitution des celulles détruites aussi bien par le cancer que la chimio. Tu en es bien conscient et tu l’applique depuis longtemps je le sais, juste pour te confirmer que ça fonctionne pour moi.
    Ça me fait plaisir de te voir si bien entouré par ta famille et tes amis, ça aussi c’est une chance.
    Je t’embrasse bien affectueusement Pierre-Jacques, ainsi que Ginette et ta petite famille.
    Cousine Chantal

    Aimé par 1 personne

    1. Merci Chantal pour ce très beau témoignage qui démontre bien la force de l’esprit sur la maladie. Effectivement tu as raison l’entourage est d’une grande utilité pour les malades et il nous aide à faire un pas devant l’autre, chaque jour jusqu’à la guérison.

      J’aime

      1. Je vis un 3 ième cancer. J’ai été durant les derniers 19 mois dans un manège de chirurgies, de tests médicaux et de chimio. Depuis novembre 2014, ma vessie n’a plus de tissus cancéreux. C sera en juin prochain que j’aurai une nouvelle cystoscopie et bon an mal an, des traitements sont prévus. L’exception sera peut-être que sans cancer, ce seront des traitements préventifs.Je lisais les histoires de vos amulettes et un manque que je porte depuis 1999 devint plus évident. Je n’avais rien pour y réfugier ma confiance comme ces objets venus des hier lointains. Où puis-je me procurer cette consolation et cet espoir?
        Merci de me répondre si le temps vous est donné.
        Louisette Lachance
        PS. Je suis sur facebook
        Si vous communiquer avec moi, je vous donnerai des renseignements complémentaires.
        Merci la vie de vous avoir mis sur ma route

        J’aime

    2. Je te fais parvenir mille bonnes pensées Chantal et à toute la grande famille Béjaud ,je ne savais pour ton combat ,j’en suis navrée mais heureuse de savoir que tu es en rémission,je t’embrasse bien fort.Véro

      J’aime

  2. Que de curiosité entre les objets, les mots et les symboles…si Dieu t’était loin et que tu le recherchais et doutais …il est encore plus curieux que les amulettes viennent à toi…prés de toi….Amulette blanche ,amulette noire elles demeurent l’objet d’un symbole….on dit que le symbole dépasse l’entendement intellectuel…on dit aussi selon Jung que­­«  le symbole contient une grande énergie que l’homme peut transformer, en l’amplifiant, en la sublimant, en la réorientant… Par exemple, certains malades se guérissent en travaillant sur des couleurs, des sons, leurs rêves, leurs fantasmes conscients ou leurs phantasmes inconscients.«  On peut y discerner presque une action divine…..Dieu serait-il si présent?
    Tes mots ont l’art de provoquer la reflexion tant du côté intellectuel tant du côté de l’émotion …l’écriture t’habite très bien…poursuis cet élan CRÉATEUR qui te va si bien…IL FRÔLE LE DIVIN…….
    Sur ta photo de maternelle ,j’ai été frappée de la beauté de ce petit garçon…je retrouvais des traits de maman ,de papa de toi bien sûr mais aussi de Liliane et des générations qui suivent…curieuse impression …Poursuis ta route grand frère et sublime les mots….

    J’aime

    1. Merci Véro de ce beau commentaire. Les symboles sont en effet des forces énergétiques très puissantes. Ainsi il y a quelques années lorsque l’Accueil Bonneau a explosé dans le Vieux-Montréal, suite a une recommandation archéologique que j’avais faite de déplacer l’affreux compteur à gaz qui défigurait la façade de la chapelle Bon-Secours située juste à côté, il s’est passé un drame dont tout le monde se souvient. Le déplacement de ce compteur, conjugué à d’autres facteurs humains et à une fuite de gaz meurtrière a entraîné la mort d’une religieuse et de deux bénévoles qui se trouvaient dans le bâtiment. Une vingtaine de personnes ont également été blessées. J’étais dévasté, mais malgré tout notre équipe d’archéologues est retournée sur le terrain pour retrouver les traces du chemin St-François qui fut l’un des premiers chemin du bourg de Ville-Marie (Montréal). Nous disposions de peu de temps, alors nous avons décapé mécaniquement les couches archéologiques les plus récentes pour arriver sur des traces d’ornières laissées par les charrettes des premiers colons montréalais. Ces traces d’ornières qui marquaient les restes de l’ancien chemin St-François étaient claires et nettes et en les nettoyant pour les photographier, un artefacts fut découvert. Il avait l’aspect d’une médaille et effectivement c’était une médaille de Saint-François perdue il y a des siècles sur le chemin du même nom… Une autre belle synchronie archéologique… Puis sous cette ancien chemin on a découvert d’anciens campements amérindiens et des artéfacts de près de 3000 ans ! http://www.marguerite-bourgeoys.com/fr/archeo/site-Archeologique.asp

      J’aime

Laisser un commentaire